M. Sarr Mamadou Secrétaire Exécutif du FONADH: ‘’L’année 2018 constitue une année de tous les risques compte tenu du climat délétère que connait le pays en ce moment dans tous les domaines’’

Le Calame : L’opposition à laquelle vous appartenez dénonce  régulièrement le recul des libertés en Mauritanie, alors que depuis quelques  années, notre pays avait fait des progrès en la matière, se classant même à la tête des pays arabes, en matière de liberté de presse. Par quoi se manifeste ce recul?

Sarr Mamadou : Je voudrais rappeler brièvement le contexte dans lequel se trouve la Mauritanie depuis ces dernières années. Le pays connait une crise profonde par l’absence d’un dialogue inclusif entre les différents acteurs politiques et sociaux autour des questions fondamentales qui divisent ce pays à savoir : la question de l’unité nationale, l’esclavage, la discrimination raciale et l’exclusion des composantes négro-africaines, le passif humanitaire, l’esclavage, l’enrôlement de la population mauritanienne, la question foncière et l’impunité etc.

 Pour répondre à votre question, je précise que  j’appartiens au Pôle de la société civile qui fait partie du FNDU, lequel se compose de quatre pôles : partis politiques, personnalités indépendantes, organisations syndicales et société civile.  Notre appartenance à ce Forum résulte de la prise en compte de nos principales préoccupations par cette institution

Effectivement, la Mauritanie connait un véritable recul dans les domaines  des libertés : emprisonnement arbitraire de certains hommes politiques et des défenseurs des droits humains, des leaders syndicaux, des journalistes qui ont grandement contribué à l’émergence de la liberté d’expression et d’opinion, d’autres sont poursuivis et astreints au contrôle judiciaire, fermeture des organes de presse sous de fallacieux prétextes, restrictions des activités des formations politiques et des organisations de la société civile, répression des manifestations pacifiques etc.

-Il y a quelques jours, le  gouvernement mauritanien  a fait adopter par le Parlement  une loi  anti discrimination. Que pensez-vous de  ce texte ? Que peut-il apporter au pays ?

Cette situation  a  toujours été dénoncée depuis la publication du manifeste des 19 cadres noirs en 1966 contre la discrimination  raciale dont sont victimes  les communautés négro-africaines. Les déportations des centaines des milliers des citoyens  dans des conditions inhumaines au Sénégal et au Mali lors des douloureux évènements survenus en  1989 constituent une preuve de ce phénomène qui persiste encore dans notre pays malheureusement. Le racisme, la discrimination raciale, l’exclusion, la xénophobie, le clanisme et le sectarisme dont sont victimes certaines composantes nationales se manifestent dans de nombreux domaines qui menacent la cohésion sociale et  l’unité nationale.

Aujourd’hui, les négro-africains et les H’ratin sont exclus de toutes les institutions importantes du pays aussi bien  au niveau des forces armées et de sécurité après l’épuration ethnique des noirs, ainsi qu’au niveau de l’administration.

Le système actuel est basé sur le racisme, il doit se faire violence pour mettre fin à cette situation car aucune loi ne peut lutter contre ce phénomène. Il  doit être déconstruit pour prendre des mesures politiques, économiques, sociales et culturelles afin de lutter contre la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance pour favoriser le vivre ensemble de nos différentes composantes nationales.

Il est toutefois à craindre que cette loi ne soit  le prétexte à certaines franges du pouvoir, pour restreindre davantage la liberté d’opinion des défenseurs des droits humains et de tous les citoyens honnêtes, qui dénoncent cette exclusion.

Il reste que cette loi, si elle est appliquée de façon juste et loyale, constitue un cadre juridique de lutte contre la discrimination. Sa mise en œuvre pourra permettre au moins de poursuivre ceux qui continuent de nier l’existence du phénomène dans notre pays.

 -Lors  la célébration  de la fête de l’indépendance 2017, le ministre de la défense  a  annoncé la réouverture du dossier du passif humanitaire, clos unilatéralement par ses soins. Comment le FONDAH a accueilli cette  annonce ? Fallait-il s’y attendre ?

-A ma connaissance, le Ministre de la Défense n’a pas annoncé officiellement la réouverture du dossier du passif humanitaire. C’est seulement dans la presse  que cette nouvelle a été annoncée ; donc je ne donne pas beaucoup de crédit à cette information qui n’a aucun caractère officiel.

Lors de la tenue des journées nationales de concertation et de mobilisation sur le retour des réfugiés et le règlement du passif humanitaire les 20, 21 et 22 novembre 2007, des recommandations pertinentes ont été faites sur ce dossier, mais qui ont été ignorées par le régime actuel qui a choisi de faire signer nuitamment à  la présidente du collectif des veuves analphabète un protocole dont personne ne connait le contenu..

Je rappelle seulement que le 20 avril 2012, le Commissaire aux Droits de l’Homme et à l’Action Humanitaire, en réponse aux observations orales de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, a adressé une lettre officielle au nom du gouvernement mauritanien à cette Commission pour demander la clôture de ce dossier en argumentant.

« que le Gouvernement de la République Islamique de Mauritanie invite la CADHP à clore le dossier du passif humanitaire pour l’apurement duquel, notre pays a consenti l’ensemble des efforts demandés »

Pour l’apurement de ce dossier,  il est impératif de mettre en place une commission indépendante comme recommandé durant les  journées de concertations en impliquant tous les acteurs concernés par ce dossier dont la solution définitive contribuera à la consolidation de la cohésion sociale et à l’unité nationale.

-La Mauritanie connaîtra  en cette année 2018, des élections  de conseils régionaux, de conseils municipaux   et des députés à l’Assemblée Nationale. En 2019, elle choisira son nouveau président de la République. Comment appréhendez-vous ces échéances ? Pensez-vous  ces élections seront  consensuelles et crédibles ?  L’opposition dite radicale (FNDU ou G8) doit-elle  y prendre part même  sans  avoir été associée à la gestion du processus électoral ?

 -L’année 2018 constitue une année de tous les risques compte tenu du climat délétère que connait le pays en ce moment dans tous les domaines : la crise politique qui existe depuis plusieurs années sans trouver des solutions, la mauvaise gouvernance, le recul de la démocratie et des libertés, la précarité qui  affecte  toutes les couches de la population, l’insécurité. Cette situation a crée  un mécontentement  général des citoyens,

Les échéances que vous évoquez, constituent un véritable enjeu  pour les populations mauritaniennes qui ont soif de changement face à cette situation catastrophique. La réussite ou l’échec de ces échéances dépendra principalement de la volonté politique des autorités mauritaniennes de créer un climat apaisé.

Présentement les conditions pour des élections   consensuelles et crédibles  ne sont pas encore réunies parce qu’il faut favoriser un climat favorable  par l’ouverture d’un dialogue inclusif avec les différents acteurs politiques et sociaux du pays autour des questions essentielles pour créer les conditions d’une transition démocratique apaisée.

L’opposition devra participer aux prochaines échéances électorales. Mais  il  est nécessaire que le régime mette en place des mécanismes pour rendre possibles des élections libres, transparentes et crédibles pour permettre un changement démocratique de pouvoir et pour la préservation de la paix civile et l’unité de notre peuple.

Propos recueillis par DL

source : Le Calame